Sous la flamme d’une cuisine, Haïti rallume son destin

Il y a des gestes qui dépassent l’acte. Il y a des femmes qui, sans tapage, deviennent des épopées. Il y a des pays que l’on croit condamnés, jusqu’à ce qu’un éclat les transperce de nouveau. Cette semaine, alors que les ténèbres de la violence et du désespoir paraissaient engloutir chaque recoin de notre mémoire collective, une femme, seule face à ses casseroles, a ranimé ce que nous avions presque oublié : notre grandeur.
Cheffe Leen Excellent, ce nom désormais inscrit dans l’air brûlant de Saint-Denis et bientôt – nous l’espérons – dans les annales du Guinness World Records, n’a pas seulement cuisiné pendant 192 heures. Elle a tenu tête à l’invisibilité. Elle a façonné un feu de dignité dans un monde qui s’obstine à nous réduire au silence.
Cette femme n’est pas qu’une cheffe. Elle est une armée. Elle est une prière. Elle est le symbole flamboyant d’un peuple que l’on caricature, que l’on méprise, que l’on évite. Et pourtant, à la lueur de ses fourneaux, elle a transformé les stigmates de notre nation en un chant d’espoir. Plat après plat, elle a réhabilité l’âme d’Haïti, non pas par les armes, mais par les arômes – ces senteurs familières de griyo, de sòs pwa, de joumou, qui rappellent que notre identité est une richesse que personne ne pourra jamais piller.
Pourquoi le monde ne nous aime-t-il pas ? Parce que nous sommes indomptables. Parce que nous avons osé, il y a plus de deux siècles, briser les chaînes là où nul ne croyait cela possible. Parce que nous avons prouvé qu’un peuple noir, sans maître, pouvait se gouverner, rêver, inventer, bâtir. Et depuis, l’Histoire – ou plutôt ceux qui l’écrivent – n’a eu de cesse de nous punir de notre audace originelle. Mais voici que surgit une femme, une fille de cette terre blessée, pour rappeler au monde que nous ne sommes pas un accident, mais une force.
Haïti n’a jamais manqué d’intelligence. Haïti n’a jamais manqué de courage. Haïti a seulement manqué de paix. Donnez-nous la stabilité, et nous offrirons au monde des génies. Donnez-nous la sérénité, et nous bâtirons des cathédrales d’innovation. Donnez-nous l’espace d’un souffle, et nous façonnerons une modernité enracinée dans l’humanité.
Chef Leen l’a prouvé. Elle n’a pas crié. Elle n’a pas supplié. Elle a simplement agi, avec foi, avec constance, avec amour. Elle est devenue l’ambassadrice d’un pays qui ne cesse de se battre pour exister autrement que par la douleur. Elle est ce que nous avons de plus précieux : une preuve vivante que l’excellence haïtienne ne demande qu’à s’exprimer.

À travers elle, c’est tout un peuple qui redresse la tête. À travers elle, c’est une jeunesse qu’on croyait anesthésiée qui reprend goût au dépassement. Et si le monde veut continuer à détourner le regard, qu’il le fasse. Nous, nous avons décidé de briller – même dans l’obscurité.
Je m’appelle John Boisguéné, et j’ai vu cette lumière naître dès le premier jour de ce défi. J’ai su que ce n’était pas un simple record. C’était une résurrection. Et nul ne pourra jamais nous retirer ce feu.
Haïti ne demande pas la pitié. Haïti exige la reconnaissance.
Et parfois, cela commence dans une cuisine.