Hommage à Jean Gérin Alexandre : Une Lumière Éteinte, Un Héritage Éternel

Le 12 décembre 2024, à l’hôpital Plurimédic, le cœur battant de Jean Gérin Alexandre s’est éteint, emporté par un AVC. Ce départ laisse un vide immense, non seulement au sein de Radio Télévision Caraïbes (RTVC), mais aussi dans le paysage médiatique haïtien, qu’il a marqué de son empreinte indélébile. Journaliste passionné, directeur de l’information rigoureux, et amoureux des lettres, il incarnait cette génération de 1986, celle qui a bravé les interdits, lutté pour la liberté de la presse et tracé la voie d’une expression libre en Haïti.
Je me souviens de ma première rencontre avec Jean Gérin Alexandre, dans les couloirs de Radio Télévision Caraïbes. À cette époque, je n’étais qu’un technicien régulièrement sollicité pour des activités nécessitant la mise en direct de la télévision, surtout pendant les nuits d’effervescence carnavalesque ou les fêtes patronales, lorsque l’équipe de la station était débordée. Alors que je venais rencontrer M. Patrick Moussignac, le PDG de la radio, ou d’autres figures comme Legagneur Jean-Marc Arthy (Balacov) et Serge Gonzales, je voyais Jean Gérin concentré derrière son ordinateur, supervisant chaque détail avec une précision infaillible.
Avec le temps, nos chemins se sont croisés plus fréquemment, surtout lorsque j’ai intégré l’équipe technique de la RTVC. Jean Gérin était un perfectionniste. Il exigeait l’excellence de ses journalistes, non par autoritarisme, mais par conviction que la vérité mérite d’être portée avec justesse et intégrité. Je me souviens encore de sa plaisanterie favorite : « L’équipe technique de Caraïbes est divisée en deux : ” sakap kòde ak sa kap dekòde” Avec cette phrase, il savait allier son esprit acéré à une bienveillance indéfectible.
Bien que nous n’appartenions pas au même domaine — lui le journaliste méticuleux, moi le technicien discret — il n’a jamais hésité à me conseiller avec chaleur. Lorsqu’il regardait mes émissions sur Télévision Caraïbes, il m’appelait pour me prodiguer des remarques précieuses, tant sur la présentation que sur la formulation. Ces échanges, empreints de respect et d’amitié, témoignaient de son dévouement non seulement envers son propre travail, mais aussi envers celui des autres.
Jean Gérin Alexandre n’était pas qu’un homme de médias ; il était un homme d’idées. Sa maison abritait une bibliothèque qu’il chérissait comme un sanctuaire. C’était son refuge, son havre de réflexion où il se nourrissait de littérature et d’histoire, fortifiant sa plume et son esprit. Il incarnait cette figure intemporelle du journaliste engagé, à l’image d’autres grandes voix qui, comme lui, ont œuvré pour la liberté de la presse en Haïti. Nous pensons à Eric Laguerre, alias Tom Malè, à Dieuphène Cadet, à Jean-Marie Gabriel, ou encore à Dieunnord, le courageux caméraman fauché dans l’exercice de ses fonctions.
Jean Gérin Alexandre faisait partie de ces rares hommes qui transforment une institution en patrimoine vivant. Sous sa direction et grâce à sa vision, Radio Télévision Caraïbes est devenue plus qu’une station : un pilier de la société haïtienne. Son départ nous rappelle l’importance de ces bâtisseurs, souvent dans l’ombre, qui consacrent leur vie à une mission plus grande qu’eux-mêmes.
Notre dernière conversation, en octobre dernier, résonne encore dans mon esprit. Je venais de le voir à l’écran, dans une émission de Matin Caraïbes, mais quelque chose m’avait frappé : son langage semblait ralenti, sa voix moins vive qu’à l’accoutumée. Inquiet, je l’ai immédiatement appelé pour prendre de ses nouvelles. Il m’a alors raconté, avec cette humilité qui le caractérisait, qu’il était tombé en sortant de Beaumont, sa ville natale dans la Grand’Anse, après avoir assisté aux funérailles d’un proche. Il se plaignait de douleurs persistantes au genou, mais comme toujours, il minimisait ses propres souffrances, préférant se concentrer sur son travail et sur les autres.
En écrivant ces mots, je ressens un mélange de tristesse et de gratitude. Tristesse de savoir qu’un tel homme nous a quittés. Gratitude d’avoir eu le privilège de croiser son chemin, d’avoir bénéficié de ses conseils et de son humanité. Jean Gérin Alexandre n’était pas seulement un professionnel, il était une leçon vivante de discipline, d’intégrité et de passion.
Aujourd’hui, alors que nous pleurons sa perte, nous célébrons aussi sa vie. Une vie dédiée à l’information, à l’éducation, et à la défense de la liberté d’expression. Jean Gérin Alexandre n’est plus, mais son esprit demeure dans chaque mot, chaque reportage, chaque onde qui porte l’écho de RTVC.
Adieu, Jean Gérin Alexandre. Merci pour ton professionnalisme, ton humanité, et ces nombreux moments où, par ton exigence et ta vision, tu as élevé le travail de tous ceux qui t’entouraient. Que ton âme repose en paix, et que ton héritage continue d’inspirer ceux qui croient en la force et en la liberté de la parole.
Par John BOISGUÉNÉ